Par Blaise MBATSHI, Associé Gérant du cabinet BMCG – Management Consultants/Article paru dans la revue Bank & Investment – Edition Octobre 2015)
D’une façon générale, en République Démocratique du Congo (RDC), l’organisation des entreprises est marquée par un sous-investissement dans la fonction finance. Par « Fonction Finance », il faut entendre l’ensemble des processus, des systèmes et des outils mis en place dans l’objectif de produire les informations financières et comptables rendant compte de la réalité économique et des performances de l’entreprise. Par ailleurs, la fonction finance est un outil de management quantitatif à part entière qui permet d’optimiser la gestion du capital.
L’expérience montre que hormis dans les cas spécifiques des filiales locales des multinationales internationales, la fonction finance est souvent peu développée et n’intègre pas suffisamment la formation de ses acteurs et le développement de leurs compétences comme des objectifs.
Pourtant, une fonction finance correctement organisée et convenablement calibrée est un atout majeur pour la création de valeur au sein de l’entreprise, et plus généralement au sein de l’économie nationale, car elle garantit la fiabilité de l’information financière utilisée par l’ensemble des parties prenantes (dirigeants, actionnaires, Etat, économistes, statisticiens, etc.).
Une distribution des responsabilités inadaptée et la faiblesse du contrôle gestion
La première caractéristique que nous rencontrons dans les sociétés où la fonction finance est peu développée est une répartition inappropriée des tâches au sein de la Direction financière. En RDC, les entreprises disent couramment que «Au niveau des finances, tout va bien, notre comptable s’occupe de tout ». Bien souvent, ce type d’affirmation traduit une situation dans laquelle le comptable doit assumer toute une série de responsabilités qui ne devraient pas lui incomber dans le cadre d’un pilotage financier optimal.
Fondamentalement, nous pouvons distinguer cinq (5) dimensions au sein de la fonction finance :
- La comptabilité : qui effectue la saisie des écritures et la production des grands livres et des balances qui conduiront aux états financiers annuels (bilan, compte de résultats, annexes, etc.)
- La trésorerie : qui assure le suivi des positions de trésorerie et détermine la politique en matière de liquidités pour en optimiser le flux
- La fiscalité : qui gère le risque fiscal et garantit la conformité des déclarations fiscales et sociales
- Le contrôle de gestion : qui garantit la coordination du processus budgétaire ainsi que le contrôle des coûts et des marges dans une approche dynamique et prospective
- L’audit interne : qui veille de façon indépendante à la maîtrise des risques opérationnels et financiers ainsi qu’au respect des règles de contrôle interne en vigueur au sein de l’entreprise
Contrairement à ce qui se pratique dans de nombreuses entreprises congolaises, le comptable ne peut raisonnablement pas assumer l’ensemble de ces responsabilités s’il s’agit d’optimiser les processus de la fonction finance. Et même si on peut comprendre que la mise en place d’un audit interne indépendant ne s’avère pertinente que pour les entreprises d’une certaine taille, nous pensons qu’il est nécessaire de rapidement différencier les fonctions de trésorerie et de fiscalité de la comptabilité. En effet, il est important que celle-ci se focalise sur sa raison d’être qui est, avant tout, la production d’états financiers probants.
La faiblesse du contrôle de gestion est la seconde caractéristique des entreprises dans lesquelles la fonction finance n’est pas organisée de façon optimale. Tel que décrit plus haut, le contrôle de gestion rassemble les outils utilisés pour élaborer les budgets de l’entreprise et pour veiller au contrôle des coûts en fonction de leur nature. Par conséquent, l’existence d’un contrôle de gestion efficace permet à l’entreprise de disposer d’une visibilité sur sa santé financière en fonction de différents centres d’analyse.
Cependant, même lorsqu’elles sont multi-services ou multi-produits, les entreprises congolaises se contentent de la mise en place d’une comptabilité simple et générale. Il leur est donc impossible de connaître avec exactitude le coût réel d’un service ou les marges par produit, faute de méthodes de gestion analytiques susceptibles de rendre compte avec précision des coûts indirects ou permettant d’imputer les charges variables de façon rationnelle. Ainsi, ces carences analytiques engendrent le risque de subir des coûts opérationnels trop élevés ou de laisser s’échapper une partie du potentiel des revenus de l’activité.
La qualité de la fonction finance joue un rôle primordial dans la fiabilité de l’information financière
Dans les pays où la recherche de capitaux devient cruciale pour le développement économique, la fiabilité de l’information financière est un enjeu de premier plan. De fait, l’information financière devient pertinente lorsque qu’elle permet aux utilisateurs d’évaluer correctement la valeur d’une entreprise, sa performance et ses perspectives futures.
Dans ce cens, la mission de certification des états financiers par le Commissaire aux Comptes (CAC) apparaît aussi comme une mission d’intérêt général dans la mesure où celui-ci doit veiller, non seulement à la justification des comptes de l’entreprise, mais également à la symétrie de l’information entre les acteurs ; laquelle symétrie constitue la base de fonctionnement de tout marché financier. Ceci étant dit, malgré que le Commissaire aux Comptes soit le dernier garant de l’information financière destinée aux parties prenantes, la qualité de son opinion, s’appuyant sur un cadre référentiel et des normes donnés, restera tributaire des états de synthèse produits par l’entreprise. Une organisation financière interne capable de baliser en amont les travaux du CAC joue donc un rôle central dans la construction d’une image sincère et fidèle de la valeur de l’entreprise.
D’ailleurs, la question de la crédibilité des états financiers est déjà d’une brûlante actualité pour le secteur bancaire en RDC. Les banques, confrontées au renforcement de leurs ratios prudentiels, ont l’obligation d’améliorer leur évaluation des risques. Les données comptables et financières mises à leur disposition participent pleinement à cette évaluation et la fiabilité de ces données devient dès lors une exigence pour la solidité du secteur bancaire dans son ensemble. En outre, l’analyse financière des données émanant des clients devant en principe être interprétée sur plusieurs années, la nécessaire comparabilité des exercices appelle à un suivi de la production comptable dans une approche durable. Ainsi, une direction financière convenablement outillée constitue, pour la banque, un gage de crédibilité des éléments d’évaluation du risque, et s’impose, au sein de l’entreprise, comme une voie efficace vers l’accès au financement.
L’externalisation de la fonction et la formation comme leviers de renforcement
Pour garantir la rentabilité de ses opérations, une entreprise se doit de disposer d’une organisation financière performante. Cependant, dans le souci de se concentrer sur leurs cœurs de métier, les sociétés choisissent parfois d’affecter leurs ressources prioritaires ailleurs que dans la fonction finance. L’externalisation de la fonction finance, et en particulier de sa composante comptable, peut alors être une solution pour les entreprises qui souhaitent se concentrer sur leurs activités stratégiques tout en bénéficiant d’un prestataire, externe à la société, chargé d’assurer la production des informations comptables et financières fiables dans les délais requis.
L’externalisation comptable peut concerner diverses activités telles que les traitements comptables, l’imputation des pièces, la production des balances périodiques ou les travaux de fin d’exercice. L’évaluation de la prestation fournie sera d’autant plus aisée que les activités externalisées auront été préalablement définies avec précision. L’externalisation permet ainsi à l’entreprise de bénéficier de l’expertise gagnée par le prestataire à travers différents secteurs et peut lui éviter des investissements non nécessaires dans l’évolution technologique de la fonction comptable.
A long terme, un risque de dépendance de l’entreprise vis-à-vis de son prestataire peut survenir, en particulier si l’entreprise n’investit pas suffisamment dans la formation de ses ressources internes. Au sein de l’entreprise, la disponibilité d’un personnel à même d’interagir avec le prestataire externe est aussi un moyen d’assurer le contrôle de la prestation.
Plus largement, nous invitons les dirigeants de sociétés à prendre toute la mesure du niveau de technicité réel qu’exige la production d’états financiers fiables et qui rendent compte de la réalité économique de leurs entreprises. Si l’externalisation partielle de la fonction finance peut s’avérer une solution judicieuse à moyen terme, l’investissement dans les compétences des cadres financiers internes reste hautement nécessaire dans la perspective d’une gouvernance crédible. Les dimensions de la direction financière offrent suffisamment de facettes pour attirer et retenir des profils de professionnels analytiques, rigoureux et méthodiques.
Bien qu’en support des opérations stratégiques, la fonction finance est au cœur de la création de la valeur de l’entreprise. Il en va donc de l’intérêt des dirigeants et des actionnaires d’en faire une entité de pilotage qui soit mobilisatrice de talents.